L'archevêque Bagrat Galstanian s'est imposé en quelques jours sur le devant de la scène politique en Arménie, prenant la tête d'un mouvement de contestation contre la rétrocession de terres à l'Azerbaïdjan, ennemi héréditaire, dans le cadre d'un plan de paix controversé.
La notoriété de cet homme barbu de 52 ans s'est faite la semaine passée, lorsqu'il a pris la tête d'une marche de manifestants rejoignant la capitale Erevan depuis son diocèse de Tavouch, région où se trouvent quatre villages qui doivent être rendus à Bakou.
Des milliers de personnes, craignant de tout perdre au profit de l'Azerbaïdjan, ont effectué ce périple de six jours avec le clerc de la puissante Église apostolique.
À la tête de cette longue marche, l'archevêque, qui souffre de varices, a été vu en bord de route, se bandant ses jambes qui saignaient. Et le voyage a culminé les 10 et 11 mai avec des manifestations de dizaines de milliers de personnes dans la capitale.
Cette marche était aussi un pied-de-nez à l'actuel Premier ministre, Nikol Pachinian, qui en 2018 avait pris le pouvoir après un périple similaire, renversant un régime détesté et gangréné par la corruption.
Pour l'archevêque, qui a étudié et représenté son Église au Royaume-Uni et au Canada, le chef du gouvernement est l'homme à abattre.
Lors d'une grande manifestation à Erevan, il a appelé à sa démission immédiate, le traitant de "menteur" et l'accusant d'être responsables des défaites militaires arméniennes face à l'Azerbaïdjan, qui a repris en septembre 2023 la région séparatiste du Haut-Karabakh, dont l'Arménie avait de facto le contrôle depuis les années 1990.
"Compassion et souffrance"
"Nous avons besoin d'un nouveau gouvernement, un gouvernement du peuple, un gouvernement de compassion et de souffrance, un gouvernement de réconciliation", a-t-il martelé face à la foule.
"Je suis sorti me battre parce que nous vivons en une époque où le bonheur a été volé, une époque d'infamie", a-t-il lâché. "Les frontières de notre patrie sont en danger", a encore ajouté ce fils d'Arméniens originaires d'un petit village d'Iran.
Bagrat Galstanian multiplie en outre les efforts après de la société civile et de l'opposition arménienne pour pousser M. Pachinian au départ, ou obtenir sa destitution par le Parlement, bien que le Premier ministre y dispose d'une majorité, a priori, à toute épreuve.
L'archevêque ne peut pas, en l'état, ambitionner de diriger le pays, sa deuxième nationalité canadienne lui interdisant ces fonctions. Mais il a sous-entendu qu'il pourrait l'abandonner.
Sur le front politique intérieur, le mouvement de contestation semble être le plus grand défi pour M. Pachinian, dont la pouvoir a survécu aux défaites militaires au Haut-Karabakh de 2020 et 2023.
Après plus de trois décennies de conflit et deux guerres, lui martèle que l'Arménie et l'Azerbaïdjan doivent trouver un accord de paix durable. D'autant que Bakou est bien plus riche et mieux armée.
C'est dans ce cadre que Erevan a accepté de rendre des villages dont elle avait pris le contrôle dans les années 1990.
Mais dans la région de Tavouch, cette perspective a suscité la colère, entraînant des blocages à répétition d'une route stratégique puis la marche sur la capitale du hiérarque de l'Église.
L'Église contre Pachinian ?
Bagrat Galstanian semble avoir réussi à rassembler des déçus et des adversaires du Premier ministre.
Mais pour le destituer, il devra convaincre 18 députés pro-gouvernementaux de trahir leur chef et de rejoindre ses opposants en s'entendant sur le nom d'un candidat alternatif à la primature.
La chose s'annonce difficile, l'archevêque étant hors course actuellement et l'opposition étant largement l'héritière du pouvoir corrompu honni des Arméniens que M. Pachinian, un ancien journaliste passé par la prison pour son activisme, avait chassé du pouvoir en 2018.
Pour l'analyste indépendant Viguèn Hakobian, le clerc dispose d'un atout important: "le soutien de la hiérarchie de l'Église apostolique arménienne".
Celle-ci ne goûte guère, et depuis longtemps, aux priorités de M. Pachinian s'agissant du Haut-Karabakh ou de la promotion de la laïcité à l'école.
La semaine dernière, le Conseil spirituel suprême de l'Église, qui dispose encore d'une grande influence dans une société croyante et patriarcale, a même qualifié de "soulèvement juste" les manifestations menées par son archevêque.
La Rédaction (avec AFP)